Roger Hodgson
L'ex-Supertramp revient en solo



Chronique CD mai 2000


Avec Supertramp, il a vendu plus de 50 millions d'albums. Dreamer, Give a little Bit, ou The Logical Song, c'était lui. En solo, Roger Hodgson n'a rien perdu de son sens de la mélodie. Après treize ans d'absence, il revient avec "Open the Door", un album aux accents celtiques.
Par Reporter Didier Aubert.


Présentation


C'est à la fin de l'année 83 que Roger Hodgson a quitté définitivement Supertramp. Pour cet esthète qui avait jusque-là composé les plus belles mélodies du groupe, l'affaire prenait un tournant bien trop commercial à ses yeux. Exit donc ce super-groupe anglais émigré aux Etats-Unis, c'est en solo que Roger va tenter de continuer. Un premier album très prometteur "In the Eye of the Storm" sorti en 84, se vend à deux millions d'exemplaires avec notamment le tube Jeopardy.

Malheureusement, le suivant "Haï Haï" publié en 87 porte bien son nom. Roger se ramasse. Normal, ce disque lui a pratiquement été imposé par sa maison de disques qui lui réclame des tubes et rien que des tubes et Roger ne sait pas vraiment travailler sur commande ! S'ensuit une longue période de doute et l'on retrouve Hodgson seul sur scène au milieu des années 90. La tournée mondiale de 100 dates baptisée "Solotramp" lui permet de constater que son succès est toujours intact et il en profite pour sortir le live "Rites of Passage".

Aujourd'hui Roger Hodgson se lance à nouveau et présente " Open the Door", son premier album studio depuis treize ans. Il y a quelques jours, il était à Paris pour un concert unique au Bataclan.


Le nouvel album


"Open The Door" a été enregistré en partie en France, avec des musiciens français. Quelle en est la raison?
C'est ma rencontre avec Alan Simon, musicien breton, co-producteur d' "Open The Door", qui a été déterminante dans ce choix. Nous nous sommes connus au Canada. Je ne savais pas qui il était, mais il m'avait appelé un jour pour me dire qu'il tenait absolument à me faire écouter des morceaux qu'il avait composés.

Il a pris spécialement l'avion de Paris pour venir me voir à Montréal où je passais en concert! Il m'a joué deux de ses titres en me parlant de son projet : monter un spectacle autour d' "Excalibur, la légende des Celtes" (présenté le 13 juin 2000 à Paris-Bercy et le 15 juin 2000 à Nantes, auquel participent entre autres Dan Ar Braz, Didier Lockwood ou Gabriel Yacoub, ndr).

J'ai été séduit par l'idée et j'ai tout de suite adoré sa musique. En plus, je trouvais ça intéressant de chanter pour la première fois les chansons des autres, ça ne m'était encore jamais arrivé. Nous avons donc travaillé ensemble en studio pour l'album "Excalibur…" et j'ai eu envie de poursuivre notre collaboration sur mon album solo.

J'ai commencé le gros du travail dans mon studio aux Etats-Unis, où j'ai malheureusement quelques difficultés à me concentrer avec ma petite famille… J'ai donc décidé de m'installer en France pour être au calme, d'autant plus qu'Alan avait déjà des contacts chez Sony, connaissait un studio d'enregistrement près de Nantes et pouvait aussi me présenter des musiciens.

J'aime bien cette idée de faire confiance aux gens, même si tu ne les connais pas très bien. Le courant est immédiatement passé entre Alan et moi.
C'est sans doute la raison pour laquelle cet album est imprégné de musique celtique…

C'est vrai, et j'aime beaucoup cette musique. Surtout parce que j'ai l'impression qu'elle est assez préservée, qu'elle n'a pas encore été récupérée par l'industrie du disque. Elle appartient encore aux gens qui la jouent, pourvu que ça dure!


Vous n'aviez rien enregistré depuis treize ans, vous devez posséder un stock de chansons impressionnant. Difficile de n'en retenir que dix pour l'album!

C'est vrai, choisir les chansons est vraiment très difficile. Les enregistrer l'est peut-être encore plus, pour moi en tout cas. C'est toujours un processus émotionnel très fort. Je suis très critique envers moi-même mais avec le temps j'essaie d'être un peu plus souple. Si je n'ai rien enregistré pendant tout ce temps, c'est sans doute parce que je me suis épuisé en studio à essayer vainement de composer.

Pour moi, le studio peut rapidement devenir une prison, un lieu où je n'arrive plus à créer. J'ai sans doute trop insisté alors que je n'avais pas vraiment l'inspiration, ce qui n'est jamais très bon. Il faut savoir renoncer parfois pour repartir sur de bonnes bases. Alors j'ai décidé de reprendre la route pour me donner un peu d'air. J'ai bouclé deux tournées et lorsque je suis revenu, j'avais de nouveau l'énergie nécessaire pour me re-concentrer. Je me suis dit que c'était enfin le bon moment pour enregistrer quelque chose de neuf.


Aujourd'hui, quelle est votre ambition avec "Open The Door"?

Je crois toujours que le succès va revenir. J'espère que cet album va suffisamment marcher pour me permettre d'en enregistrer un autre plus aventureux la prochaine fois. Dans l'immédiat, si il est bien accueilli, il devrait peut-être me permettre de tourner avec des musiciens. Ce n'est pas simple, la plupart des artistes dans mon cas perdent de l'argent sur les tournées.


La composition


Comment composez-vous ? Est-ce un travail quotidien ou bien les mélodies vous viennent-elles sur l'instant ?
C'est assez spontané. Je m'assois, je joue du piano ou de mon vieil harmonium ou bien je prends ma guitare pour le plaisir, et puis si une idée me vient, alors j'essaie de la développer. Tout ça n'est jamais très planifié. Je ne crois pas que la création artistique soit un processus intellectuel.

Au contraire, je pense que l'art ne commence qu'à partir du moment où l'on ne réfléchit plus. Parfois, les paroles peuvent me venir en même temps que la musique mais ça se fait alors de manière naturelle. Je ne m'assois jamais à une table en me disant : "tiens aujourd'hui je vais essayer d'écrire sur tel ou tel sujet".


Quel est votre instrument de prédilection pour composer, plutôt le piano, plutôt la guitare ?

Je dirais que c'est du cinquante/cinquante. C'est en fait le son de l'instrument en lui-même qui m'inspire ou pas. En général je compose soit sur une guitare acoustique 12-cordes soit sur mon vieil harmonium. Les gens paraissent surpris quand je leur dis cela, mais c'est vrai. Des titres comme Breakfast in America, The Garden ou Say goodbye sur mon nouvel album, ont été composés à l'harmonium. Idem pour Fools Overture, et peut-être même Logical Song !

Cet instrument est une grande source d'inspiration pour moi. It's raining again, (qui avait fait un tube en 1982, ndr), je l'ai aussi composé à l'harmonium. Je sais, ça ne paraît pas évident, mais c'est parce que les chansons évoluent au moment de l'enregistrement. En général, elles deviennent plus sèches lorsque je les transpose au piano. La version originale de It's raining again était très langoureuse, plus triste également. Quand je me suis mis au piano pour jouer ce morceau avec Supertramp il est devenu plus punchy, plus pop.


Les années Supertramp


Pourquoi aviez-vous décidé avec Supertramp de vous installer aux Etats-Unis en 1975 ?
La première fois que nous avons mis les pieds en Californie, après avoir passé les vingt-cinq premières années de notre vie en Angleterre, nous avions l'impression d'arriver au paradis ! On a tout de suite adoré se pavaner au soleil, on aimait leur manière de vivre, et puis aussi l'espace là-bas, qui nous paraissait infini. Nous sommes restés à Los Angeles pendant quatre ans et je me suis installé ensuite plus au nord de la Californie.


Vous êtes arrivés en plein mouvement hippie sur la Côte-Ouest. Les gens aspiraient à vivre différemment, c'est aussi ce qui vous a motivé ?

Quand je suis arrivé là-bas, j'avais vingt-quatre ans et j'étais en pleine recherche d'identité. Je savais que je voulais être végétarien, je commençais à m'intéresser au yoga et à toutes ces pratiques ésotériques qui étaient très en vogue à ce moment-là en Californie. J'étais déjà végétarien en Angleterre mais aller là-bas m'a conforté dans mes choix de vie. Les gens aspiraient à une meilleure qualité de vie et découvraient de nouvelles pratiques pour se sentir plus en harmonie avec leur corps. On essayait par exemple de manger sainement, tout ça me plaisait beaucoup.


C'est pourtant d'abord l'Angleterre qui a reconnu le talent de Supertramp !

On a toujours assez bien marché aux USA, mais c'est vrai que tout a vraiment démarré avec "Breakfast in America". Nous sommes alors passés au statut de stars.


On le sait peu, mais avec d'autres membres de Supertramp vous avez débuté comme accompagnateurs de Chuck Berry !

Oui, avec deux autres membres de Supertramp, le batteur Bob Siedenberg et le bassiste Dougie Thomson. Moi, j'étais à la guitare rythmique. Nous avons accompagné Chuck Berry pour quatre concerts en Angleterre. La première fois, il s'est pointé vingt minutes avant le show, très détendu. Dans les loges il nous a dit : "Ok, les gars, vous faites simple. Suivez-moi, c'est tout ce que je vous demande !
".

C'est un musicien qui aimait bien la spontanéité et qui improvisait tout le temps, passant d'un morceau à l'autre, d'une idée à une autre comme ça, sur un coup de tête. Il valait mieux le suivre. Ce n'était pas vraiment la musique que nous écoutions, et je ne crois pas que nous ayons laissé à Chuck Berry un souvenir impérissable non plus! Mais on s'est bien marrés.

C'était avant que Supertramp ne commence à obtenir du succès. Pour la première fois on jouait dans de très grandes salles, c'était assez excitant. Je me souviens qu'une fois pendant un morceau, Chuck Berry s'est retourné, est venu me voir au fond de la scène et m'a dit : "Ok, maintenant gagne ton argent, vas prendre un solo ! ".


Vous avez aussi collaboré avec un certain Reginald Dwight en 1969, qui n'était pas encore Elton John, sur votre premier enregistrement, Argosy !
Elton était un musicien de studio quand je l'ai rencontré. Il a effectivement joué sur mon premier album, mais c'était un peu le fruit du hasard, nous n'avions pas de réelle collaboration ensemble. Je sortais à peine du lycée, j'avais 19 ans et un éditeur qui m'avait découvert voulait me faire enregistrer un disque. Elton faisait partie des musiciens qui ont joué sur ce single, dont la plupart d'ailleurs sont devenus ses musiciens attitrés par la suite.


Roger et le web


Vous disposez d'un site sur le web, vous êtes vous-même un surfeur avisé ?

Ce qui me plaît avec l'internet, c'est que les gens puissent communiquer entre eux en direct à travers le monde. Sur mon site, nous avons donc privilégié les rencontres et nous organisons régulièrement des chats.
C'est génial, des fans du monde entier peuvent s'échanger des informations, dialoguer autour d'une même passion, la musique de Supertramp ou la mienne.

Moi, quand je surfe sur le net, c'est toujours pour une idée très précise, comme celle de rechercher de vieilles guitares à acheter. J'ai trouvé récemment sur le site e-bay deux Guild 12-cordes assez rares sur lesquelles je compose la plupart de mes chansons. Je ramais depuis vingt ans pour trouver ces modèles et voilà que grâce au net j'en repère deux d'un coup !

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